Dans ce lieu, entouré de champs de céréales, tout n'est que passé et splendeurs défraîchies. Ce fut mais ce n'est plus. La piscine croupit, cachée sous des bâches, le tennis ne retentit plus des balles rebondissantes et du claquement des raquettes, les grandes herbes envahissent le parc, récoltera-t-on seulement le foin cette année? Seuls les abords sont tondus. L'étang est recouvert de feuilles pourries par l'eau et pourtant quelques canards y nichent encore et les grenouilles croassent vigoureusement même la nuit. La statue à l'air bêta sourira encore quelques années avant d'être recouverte de mousse. Les araignées n'ont même plus peur des bêtes grimaçantes qui ne recrachent plus d'eau depuis longtemps. Le château se ride, des fissures parcourent les murs de la grande chambre aux papiers peints de roses anciennes assorties aux tentures qui cachent les vieilles huisseries grinçantes. Et pourtant je me sens bien dans cette chambre, fenêtres ouvertes sur les bruits du parc et les oiseaux matinaux qui chantent, libres. Seule la  tour qui date de l'ancien château ne vieillit plus. Elle est déjà vieille et pour longtemps encore, j'espère.

Dans un des petits immeubles qui parsèment le parc et où nombre d'appartements ont clos leurs volets, réside une vieille dame de bientôt 104 ans. Elle vit dans son monde à elle, un monde de SUR-vivants, parle de ses sœurs de 116 et 108 ans "qui portent bien leur âge" D'ailleurs elle les a vues il y a quelques jours, elles allaient bien! Dans son imaginaire, on ne meurt pas, c'est la vie éternelle du moins tant que soi-même on est là. Il n'y a que nous qui vieillissons, nous ses neveux. "Tu n'as pas beaucoup de cheveux blancs pour ton âge, ce n'est pas comme ton frère! Et vous, Martine, vous êtes bien habillée"... Son regard dévie vers mes chaussures, celles de marche puisque je reviens du parc où j'ai promené Rubia. Elle ne dit plus rien, mes chaussures ne sont pas à son goût. Puis mes cheveux sont passés au crible, elle en aime la couleur blanche un peu dorée... mais non, je ne mets rien sur mes cheveux, Tatie. Quelques minutes plus tard, la conversation reprend... En boucle. Son dentier claque dans sa bouche, il ne tient plus guère et elle le mâchouille comme un tic!

Ce fut une belle femme, très coquette. Elle a gardé de sa jeunesse tumultueuse de très belles jambes et des bras peu ridés. Elle se maintient toute droite sur le bord de son lit, en regardant d'un air absent les programmes de la première chaîne, toujours la première chaîne puisqu'elle ne sait plus manipuler les boutons.

Si on lui demande comment elle va, elle répond toujours cette même phrase: "je suis si fatiguée" Comment en être autrement quand on a presque 104 ans et qu'on vit parmi les SUR-vivants!

 

Photos du 21 juin

 

 

 

 

 

 

(reflet inversé)

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