Ce souvenir me revient souvent en mémoire :

J'étais encore si petite, moi qui bougeais tout le temps, qui ne tenais pas en place.

"Elle n'aime que le sirop de la rue" disait ma mère désespérée d'avoir engendré un tel tourbillon,

alors qu'elle aurait tant souhaité avoir un beau garçon.

Le tourbillon, c'était moi, cette petite fille rousse ou presque aux taches de rousseur qui me mangeaient le visage.

Les vilaines personnes disaient : 

- Elle a regardé le soleil à travers une passoire.

Mais pourtant, il y avait une chose que j'adorais plus que tout peut-être,

plus que les petits avions de papier que je fabriquais dans ma chambre : le papa avion, la maman avion …

Ce que j'aimais, c'était monter là-haut, tout en haut de la maison, au deuxième étage, dans la pièce où on repassait le linge,

il y avait aussi une grande armoire en pichepin comme on disait.

Qu'y avait-il dans cette armoire, je ne sais plus et je n'ai sûrement jamais eu la curiosité de fouiller.

Probablement rien d'intéressant pour moi, des choses qu'on ne savait où mettre peut-être,

des tissus divers, fils, aiguillées… ma mère cousait beaucoup et faisait une partie de nos vêtements.

Cette pièce était dénommée "la salle d'orgue", encadrée par deux autres chambres. C'était la mieux chauffée.

Là, régnait l'instrument, l'énorme mastodonte: deux ou trois claviers (j'ai oublié) et un pédalier.

Autrement dit L'ORGUE de mon père.

Devant, pour s'asseoir, un banc, suffisamment grand pour que la petite fille puisse se mettre à côté de son papa.

- Tu ne bouges pas, tu écoutes, sinon tu sors.

Il ne fallait pas me le dire deux fois. Je devenais une statue, fascinée par le jeu des pieds, ceux-ci, chaussés de chaussures spéciales,

noires, un peu raides, pour être précises sur le pédalier

et les mains qui passaient d'un clavier à l'autre,

les boutons qu'on tirait et parfois mon père me disait : tire le bourdon ou un autre et je tirais doucement,

ravie d'avoir une telle responsabilité.

J'aimais surtout quand l'instrument sortait son grand jeu, j'en avais plein les oreilles et je vibrais de plaisir.

Tout ça c'était sans compter sur le bruit annexe, assez gênant pour le musicien qui avait appris à en faire abstraction car il n'y avait pas le choix.

C'était déjà si merveilleux de posséder un tel trésor à la maison.

Ce bruit c'était le ronronnement continu  et lancinant du moteur électrique qui actionnait l'engin. 

J'espère simplement que Bach, Saint Saëns et les autres auront pardonné à l'organiste ce vilain bruit

qui accompagnait si délicieusement leurs oeuvres. 

 

 Aujourd'hui, c'est mon anniversaire. la petite fille de jadis est devenue une vieille dame et je rêve encore.

J'espère pouvoir me souvenir longtemps de cet orgue et de l'enfant sage que je devenais alors.

Pour la petite histoire, un jour l'orgue disparut, donné sans doute à quelqu'un content de récupérer un instrument pour rien.

Il fut remplacé par un orgue moderne, électronique… Le charme était rompu.

Pourtant j'aime maintenant pouvoir rentrer dans une église quand l'organiste répète,

ça me rappelle ce bon vieux temps, celui de mon enfance et de mon vieil orgue.

Je m'assois et j'écoute, immobile, je ferme les yeux, un peu embués peut-être.

 

(Une petite improvisation sur "Jésus que ma joie demeure " de JS Bach)

Il faut être patient, ça dure 11 minutes et ça monte en intensité…

C'est amusant et fantastique !

 

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